Extrait du Monde daté du 4 septembre
Accablé par ce constat, l’auteur décide de s’enquérir de la manière dont les choses se passent ailleurs, au Canada, en France, au Royaume-Uni et à Cuba, pays qui ont instauré un régime de sécurité sociale fondé sur la solidarité. S’ensuit une série de cartes postales idylliques à destination de ses compatriotes.
On apprend ainsi qu’en Grande-Bretagne, les patients sourient d’aise dans les hôpitaux, que les plus pauvres reçoivent même de l’argent pour payer leurs frais de transport. Qu’en France, des femmes sont payées par l’Etat pour aider les jeunes mères dans leurs tâches ménagères.
Enfin, Moore a emmené à Cuba d’anciens volontaires des opérations de déblaiement qui ont suivi les attentats du 11-Septembre à New York, aujourd’hui, atteints d’affections diverses. Après avoir tenté en vain de les faire admettre à l’infirmerie américaine de la prison de Guantanamo, située sur l’île, le cinéaste obtient des autorités de santé cubaines qu’elles prennent en charge ces malades.
Mais Michael Moore n’évoque pas les dysfonctionnements des systèmes auxquels il fait semblant de s’intéresser, ne mentionne pas les dernières inflexions de la politique de santé en France, ne donne aucune explication sur la manière dont il a convaincu les Cubains de soigner ses compatriotes…
«Sicko», crise de mauvaise foi
Le docu de Michael Moore sur le système de soins américain frise la malhonnêteté.
Par Gilles RENAULT
QUOTIDIEN : mercredi 5 septembre 2007
Sicko de Michael Moore. 1 h 53.Sicko, le nouveau brûlot de Michael Moore, s’attaque au système de soins américains ou, plus exactement, à la façon dont un pays comme les Etats-Unis a, depuis quelques décennies, totalement perdu les pédales en confiant le remboursement des dépenses de santé à des sociétés privées. Conséquence directe, à la fois violente et implacable selon Moore : un paradoxe ultime voulant que ces assureurs prospèrent sur le dos des citoyens en concentrant l’essentiel de leur temps et de leurs moyens (lobbying, paperasserie, enquêtes à la limite du harcèlement) à essayer de rembourser le moins de monde possible.
Fidèle à ses méthodes, Michael Moore empile les témoignages (dragués via le Net) à l’emporte-pièce, sans jamais donner la parole aux accusés. L’ambiance n’en est que plus catastrophiste. Montage incisif, ironie mordante, le système de soin US sort laminé de ce traitement de choc.
Mais bientôt, Moore, cantonné à la voix off, commence à envahir physiquement l’écran pour appuyer son antithèse, à travers l’étude comparative des systèmes de santé canadien, anglais et français. Trois cas «exemplaires», exposés si caricaturalement qu’ils trahissent au mieux l’impréparation, au pire, la malhonnêteté. On découvre ainsi que les services des médecins de nuit à Paris sont gratos, que le temps d’attente aux urgences est de quelques nanosecondes et qu’une famille française moyenne (8 000 euros de revenus !) a pour poste principal de dépense les voyages que leur autorise un temps de travail ridiculement bas. Et Moore d’enquiller ainsi les contresens et approximations, jusqu’à jeter un doute inquiétant sur l’ensemble de son travail, y compris dans cette absurdité consistant à convoyer un panel d’Américains patraques jusqu’à Cuba où ils sont très bien reçus (et soignés à l’oeil).
La volonté de dénoncer en divertissant chère à Moore finit par détruire l’objet même du documentaire et on sort du film en ayant l’impression d’avoir été baladé mais guère informé.