Simon : Cher maître, pourrions-nous aborder le délicat sujet des armes ?
Thrasymaque : Avec grand plaisir, jeune homme. Quoique, à la réflexion, je n’imagine pas que vous ayez un point de vue si différent du mien.
Simon : Je crains que vous ne vous avanciez trop.
Thrasymaque : Comment cela ?
Simon : La vérité vraie est que je souhaite la légalisation ainsi que la libre-circulation des armes à feu.
Thrasymaque : Jeune homme, vous déraisonnez. Voudriez-vous un retour au Far-West en France, ou à la violence meurtrière que l’on trouve en Amérique même encore de nos jours ?
Simon : Ne s’agit-il pas là d’un phénomène –trop souvent exagéré, stigmatisé en Europe- intrasèque aux Etats-Unis ? Vous en conviendrez aisément, je crois, en observant la situation en Suisse ou au Canada dont les nombres d’homicides avoisinent le notre (aux alentours de 1 pour 100 000 habitants et par an, [chiffres variant selon les années]) malgré une politique nettement moins prohibitive.
Thrasymaque : Sans doute, mais les Français ne sont ni les Suisses ni les Canadiens.
Simon : Ils ne sont pas plus les Américains que je sache.
Thrasymaque : Je vous le concède.
Simon : Et par là-même que la légalisation des armes à feu ne signifie pas inexorablement une violence exacerbée?
Thrasymaque : Ma foi, vous m’y obligez. Pour autant, il me semble que l’une des particularités peu sympathiques de ces ustensiles consiste à donner la mort sinon à meurtrir son prochain.
Simon : Il vous semble bien, maître Thrasymaque. De même qu’un couteau ou une voiture ou que la plupart des objets autour de nous dont un usage peut s’avérer létal, en quelques sortes. Or, vous ne préconisez nullement leur proscription.
Thrasymaque : Vous ne prenez pas en compte la fonction première ni des uns ni des autres.
Simon : Permettez-moi alors de vous poser cette question fort naïve au demeurant : qu’est-ce que la fonction première d’un objet?
Thrasymaque : Celle qui motive l’achat ou l’acquisition, naturellement.
Simon : Si je vous suis, la fonction première d’un objet diffère suivant les cas. Subrepticement, nous sommes passés de la fonction première d’un objet générique -id est « la voiture », « le pistolet », « le couteau »- à celui d’un objet précis appartenant à l’individu X qui en use de la manière M.
Thrasymaque : Soit.
Simon : En même temps, un autre individu Y propriétaire du même type d’objet peut en faire l’usage N.
Thrasymaque : Je le conçois.
Simon : Si le véhicule, le couteau ou même les mains de X sont utilisés sans mettre en danger la vie de quiconque (vous pouvez envisager une voiture « écologique » si cela vous chante), et que parallèlement Y s’en sert pour massacrer la moitié du pays, vous viendrait-il à l’idée de saisir le véhicule, le couteau de X puis de lui trancher les mains?
Thrasymaque : Non, c’est là un châtiment inique qu’il ne mérite pas.
Simon : Maintenant, remplaçons le couteau par une arme à feu, le raisonnement reste le même.
Thrasymaque : Je dois bien l’admettre.
Simon : Ainsi, puisque nous avons vu ensemble que l’usage particulier que font certains individus de leur propriété ne joue aucun rôle sur la légitimité même de la propriété, on ne saurait s’opposer à la légalisation des armes à feu sans nier ne serait-ce que le droit fondamental de propriété privée.