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Libéralisme et Religion (Ludwig von Mises)

novembre 10, 2007

Le libéralisme est fondé sur une théorie purement rationnelle et scientifique de coopération sociale. Les politiques qu’il préconise sont l’application d’un système de connaissances qui ne se réfère en rien aux sentiments, aux croyances intuitives pour lesquelles aucune preuve logiquement satisfaisante ne peut être apportée, aux expériences mystiques, et à la perception personnelle de phénomènes supra-humains. En ce sens, on peut lui appliquer les épithètes — souvent mal comprises et interprétées erronément — d’athéiste et d’agnostique. Mais ce serait une grave erreur de conclure que les sciences de l’agir humain, et la politique déduite de leurs enseignements — le libéralisme — soient anti-théistes et hostiles à la religion. Elles sont radicalement opposées à tous les systèmes de théocratie. Mais elles sont entièrement neutres vis-à-vis des croyances religieuses qui ne prétendent pas se mêler de la conduite des affaires sociales, politiques et économiques.

La théocratie est un système social qui revendique à l’appui de sa légitimité un titre suprahumain. La loi fondamentale d’un régime théocratique est une vision intérieure non susceptible d’examen par la raison et de démonstration par des méthodes logiques. Son critère ultime est l’intuition qui fournit à l’esprit une certitude subjective à propos de choses qui ne peuvent être conçues par raison et raisonnement systématique. Si cette intuition se réfère à l’un des systèmes traditionnels d’enseignement concernant l’existence d’un divin Créateur et Maître de l’univers, nous l’appelons croyance religieuse. Si elle se réfère à un autre système, nous l’appelons croyance métaphysique. Ainsi un système de gouvernement théocratique n’est pas nécessairement fondé sur l’une des grandes religions historiques du monde. Il peut être déduit de positions métaphysiques qui répudient toutes les églises traditionnelles et confessions, et qui se glorifient de souligner leur caractère anti-théiste et anti-métaphysique. De nos jours, les plus puissants des partis théocratiques sont hostiles au christianisme et à toutes les religions dérivées du monothéisme juif. Ce qui les caractérise comme théocratiques, c’est leur volonté passionnée d’organiser les affaires temporelles de l’humanité en fonction d’un complexe d’idées dont la validité ne peut être démontrée par le raisonnement. Ils prétendent que leurs chefs sont doués mystérieusement d’un savoir inaccessible au reste des hommes et contraire aux idées adoptées par ceux auxquels le charisme est refusé. Les chefs charismatiques ont été investis par une puissance mystique supérieure, de la charge de conduire les affaires d’une humanité égarée. Eux seuls sont illuminés ; tous les autres sont ou bien aveugles et sourds, ou bien des malfaiteurs.

C’est un fait que nombre de variantes des grandes religions historiques ont été contaminées par des tendances théocratiques. Leurs missionnaires étaient animés d’une passion pour le pouvoir afin de subjuguer et détruire tous les groupes dissidents. Néanmoins, nous ne devons pas confondre les deux choses, religion et théocratie.

William James appelle religieux « les sentiments, actes et expériences d’individus dans leur solitude, dans la mesure où ils se sentent eux-mêmes être en relation avec le divin, de quelque façon qu’ils le considèrent » 5. Il énumère les croyances ci-après comme les caractéristiques de la vie religieuse : Que le monde visible est une partie d’un univers plus spirituel, d’où il tire sa signification principale ; que l’union ou la relation harmonieuse avec cet univers supérieur est notre vraie finalité ; que la prière, ou communion intérieure, avec l’esprit de cet univers plus élevé — que cet esprit soit « Dieu » ou « la loi » — est un processus au cours duquel un travail est réellement effectué, une énergie spirituelle est infusée dans le monde phénoménal et y produit des effets psychologiques ou matériels. La religion poursuit James, comporte aussi les caractéristiques psychologiques que voici : nouveau parfum stimulant qui s’ajoute à la vie comme un don, et qui prend la forme tantôt d’un enchantement lyrique, tantôt d’un appel au sérieux et à l’héroïsme, avec en outre une assurance de sécurité et un esprit de paix, et envers autrui, une prépondérance d’affection aimante 6.

Cette description des caractères de l’expérience religieuse et des sentiments religieux de l’humanité ne fait aucune référence à la structuration de la coopération sociale. La religion, aux yeux de James, est une relation purement personnelle et individuelle entre l’homme et une divine Réalité, sainte, mystérieuse et d’une majesté angoissante. Elle enjoint à l’homme un certain mode de conduite individuelle. Mais elle n’affirme rien touchant les problèmes d’organisation de la société. Saint François d’Assise, le plus grand génie religieux de l’Occident, ne s’occupait ni de politique ni d’économie. Il souhaitait apprendre à ses disciples comment vivre pieusement ; il ne dressa pas de plan pour l’organisation de la production et n’incita pas ses adeptes à recourir à la violence contre les contradicteurs. Il n’est pas responsable de l’interprétation de ses enseignements par l’ordre dont il fut le fondateur.

Le libéralisme ne place pas d’obstacles sur la route de l’homme désireux de modeler sa conduite personnelle et ses affaires privées sur la façon dont il comprend, par lui-même ou dans son église ou sa confession, l’enseignement de l’Evangile. Mais il est radicalement opposé à toute prétention d’imposer silence aux discussions rationnelles des problèmes de bien-être social par appel à une intuition ou révélation religieuse. Il ne veut imposer à personne le divorce ou la pratique du contrôle des naissances ; mais il s’élève contre ceux qui veulent empêcher les autres de discuter librement du pour et du contre en ces matières.

Dans l’optique libérale, le but de la loi morale est de pousser les individus à conformer leur conduite aux exigences de la vie en société, à s’abstenir de tous les actes contraires à la préservation de la coopération sociale pacifique, ainsi qu’au progrès des relations interhumaines. Les libéraux apprécient cordialement l’appui que les enseignements religieux peuvent apporter à ceux des préceptes moraux qu’ils approuvent eux-mêmes, mais ils s’opposent à celles des règles qui ne peuvent qu’entraîner la désintégration sociale, quelle que soit la source dont ces règles découlent.

C’est défigurer les faits que de dire, comme beaucoup de partisans de la théocratie religieuse, que le libéralisme combat la religion. Là où est admis le principe de l’intervention des églises dans les problèmes temporels, les diverses églises, confessions et sectes se combattent entre elles. En séparant Eglise et État, le libéralisme établit la paix entre les diverses factions religieuses et assure à chacune d’elles la possibilité de prêcher son évangile sans être molestée.

Le libéralisme est rationaliste. Il affirme qu’il est possible de convaincre l’immense majorité que la coopération pacifique dans le cadre de la société sert les intérêts bien compris des individus, mieux que la bagarre permanente et la désintégration sociale. Il a pleine confiance en la raison humaine. Peut-être que cet optimisme n’est pas fondé, et que les libéraux se sont trompés. Mais, en ce cas, il n’y a pas d’espoir ouvert dans l’avenir pour l’humanité.

Ludwig von Mises in L’Action humaine

5 W. James, The Varieties of Religious Experience, 35e impression, New York, 1925, p. 31.
6 Op. cit., pp. 485-486.

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